LOUIS CLAUDE DE SAINT MARTIN.
Quelle est la voie la plus directe pour arriver à Dieu?
Saint
Martin attaque avec persistance la preuve expérimentale, tirée
de l'ordre et de l'harmonie de l'univers qui selon lui fait le jeu du
doute et de la négation.
Toutes les démonstrations tirées de l'ordre de ce monde et de la nature sont précaires et fragiles par la nature de la réalité où elles sont puisées. La nature révèle un grand ouvrier mais non nécessairement un ouvrier libre, puisque tout y marche par des lois fatales, non un Grand Architecte saint et aimant, puisque le monde est privé de moralité et d'amour.
(Ministère de l'homme esprit, début, et lettre sur la révolution)
Les arguments de l'ordre externe sont insuffisants à faire croire en Dieu, parce qu'ils sont insuffisants à nous le faire comprendre.
Quelle contradiction, Nous prenons à témoin notre monde d'apparences et de phénomènes, pour établir un être en qui tout est fixe et positif; des substances inintelligentes, pour prouver celui qui est l'intelligence même; des substances qui n'aiment point, pour démontrer celui qui n'est qu'amour; des substances captives pour faire connaître celui qui est libre; des substances qui meurent pour expliquer celui qui est la vie.
Il reste donc à démontrer le Grand Architecte juste, libre et aimant, le Grand Architecte qui indique à nos âmes les voies par lesquelles nous pouvons nous conformer aux vues de sa sagesse; et, comme tel, ayant des droits à notre confiance, à notre amour, à des hommages, à un culte.
On a voulu établir l'éternité d'une cause alors qu'il faut montrer que le Grand Architecte est perfection, beauté et vie. Si nous croyons prouver autre chose en partant de la nature, qu'une force indéterminée qui n'a rien du Grand Architecte que nous adorons, c'est que nous prêtons à ce monde des vérités qui lui sont tout à fait étrangères, que nous puisons à notre insu peut-être, dans l'ordre des réalités supérieures et qui n'ont point de véritable existence dans la nature. (Ministère début)
L'homme constitue le seul moyen sur et direct de démontrer l'essence en même temps que l'existence de Dieu.
Commençons par l'étude des facultés aimantes et intelligentes de l'homme, parce que notre âme ramenée à ses éléments, se trouve être de la région de Dieu même, et que c'est elle qu'il a prise pour son témoin.
Nous tirons nos lumières et nos certitudes de la métaphysique; le monde sensible ne nous offre qu'incertitude et obscurité.
Le seul moyen de prouver le Grand Architecte juste, libre, aimant, source d'un éternel bonheur, c'est de montrer la véritable nature de l'âme, qui est tout désir et tout amour, et qui se trouve ainsi être le témoignage actif du Grand Architecte saint et aimant, comme la nature physique est le témoignage passif du Grand Architecte puissant et créateur.
C'est l'amour de la créature humaine pour l'invisible, c'est le désir ineffable de s'unir aux pures essences, l'appétit de l'intelligible qui est la véritable démonstration du Grand Architecte. (Esprit des choses Tome 1)
Notre âme vit d'admiration; l'homme qui pense est heureux parce qu'il trouve dans la vérité de quoi admirer; l'homme qui aime est dans un amour vrai autant qu'il peut réellement admirer ce qu'il aime; adorer, c'est admirer encore.
L'homme qui se trompe dans sa pensée ou dans son amour, même alors, admire, quoique son admiration soit fragile et passagère comme les objets illusoires auxquels il a livré son cur et son esprit; lorsque l'homme n'admire plus, il est vide et nul, pur néant. La nature ne peut nous tromper. Nous n'admirons les choses qu'autant qu'elles sont au-dessus de nous. Les plus grandes merveilles cessent de nous subjuguer dès l'instant qu'elles cessent de nous surprendre. Si notre essence est d'admirer, si notre nature n'a pas mis en nous ce désir pour le tromper si notre admiration ne s'attache qu'à ce qui nous domine, c'est qu'il y a au-dessus de nous une source intarissable, d'où les objets d'admiration puissent descendre dans notre âme à la voix de ses besoins, comme le lait, toujours prêt à s'épancher du sein de la mère sur les lèvres de l'enfant.
Cette source permanente et éternelle, ce nécessaire admirable, nous ne courons aucun risque de l'appeler Dieu... et qui excite en nous tous les genres d'admiration; l'admiration de la puissance par les uvres merveilleuses qui se développent à nos yeux; l'admiration de la sagesse par les profondeurs de sa pensée; l'admiration de l'amour, par le sentiment des inépuisables trésors dont cette source enrichit notre âme (uvres posthumes).
L'âme s'élance par la pensée et l'amour au sein de son créateur source de ses sentiments les plus purs et de ses plus idéales pensées; l'homme arrive au Grand Architecte par le secret élan de son désir las du monde et de sa raison éprise de l'infini.
En Dieu, tout est simple, tout est unité.
L'homme avec ses facultés soumises à la loi du temps, subdivise les attributs de Dieu et les appelle de noms divers. En Dieu, rien n'est divisé.
"Attributs divins, vous prenez des noms selon les uvres que le Grand Architecte se propose, et selon les êtres sur lesquels il doit agir; mais toutes nos langues sont passagères, et il ne restera à jamais que la langue divine composée de deux mots: amour et bonheur." (Homme de désir)
Toute distinction suppose du relatif, du mobile, du passager; il ne peut s'en concevoir dans l'être absolu, immuable, fixe.
Le père, le fils et le saint esprit constituent le ternaire sacré dont les symboles se multiplient indéfiniment dans le monde des choses créées. Rien n'est au-dessus de la loi du ternaire; mais tandis que les êtres inférieurs sont un en trois, ce qui les rend sujets à la mort, le Ternaire sacré est trois en un; il est donc indivisible. (Des erreurs et de la vérité).
Les êtres temporels sont perpétuellement sollicités par la loi du temps et de la subdivision à se séparer de leur centre; les trois personnes divines opèrent sans cesse un mouvement de retour vers l'indivisible unité qui les constitue.
"Tu le crois seul et isolé, parce qu'il n'y a pas d'autre Grand Architecte que lui? Comment serait-il seul? Sa pensée ne connaît point d'intervalles, et toutes ses pensées sont des créations. Il pense, et à chaque pensée les êtres sortent en foule de son sein, comme les rayons innombrables de la lumière sortent continuellement de cet astre qui leur a été donné comme sanctuaire... Ces légions d'êtres se succèdent comme les vagues de la mer, ou comme les nuages nombreux poussés dans les airs par l'impétuosité des vents. Ils ont tous des fonctions diverses, et ils s'empressent avec ardeur de les remplir. Ils réfléchissent la clarté éblouissante de leur éternelle source, et forment comme les temples placés d'espace en espace dans l'immensité, pour que l'immensité soit remplie des louanges et de la gloire de l'éternel... ils répandent partout sur les mondes les vertus célestes et divines, comme autant de pluies et de rosées bienfaisantes.
Rien n'est doux comme cette régénération éternelle. Tous les êtres s'y succèdent en paix et d'une manière insensible, comme les heureuses pensées qui naissent en nous, et dont la formation ne nous coûte aucun effort.
La subdivision des êtres n'introduit aucune distinction dans le fond de la substance divine, et que les facultés du Grand Architecte peuvent se manifester indéfiniment, en constituant des êtres hors de lui sans se séparer de lui.
La classification de ces êtres est exposée dans le traité des bénédictions (uvres posthumes, Tome 2).
Tous les êtres n'ont pas la même existence, les mêmes facultés, les mêmes destinations parce qu'ils ne reçoivent pas tous les mêmes bénédictions. Il y a des êtres qui vivent sous la loi du temps, il y en a qui sont éternels.
Le temps renferme des êtres qui ne sont que corporels ou sensibles; d'autres qui sont spirituels ou intelligents.
Il y a donc des bénédictions corporelles et d'autres spirituelles.
"Toutes ces bénédictions sont les paroles du fils, qui, étant le dépositaire de toutes les puissances de son père les diversifie et les emploie selon les lois éternelles de la sagesse."
"L'opération d'une des facultés divines, quelle qu'elle soit, ne peut avoir lieu que par les verbes, lesquels sont tous produits par le seul verbe, ou l'unité éternelle des essences divines."
Les verbes constituent les êtres; tout est donc parole, mais parole réelle, substantielle. Le langage n'est que la traduction par certains signes de la qualité essentielle des êtres.
Chaque chose porte avec soi et en soi, son nom, son verbe; chaque chose fait de soi-même sa propre révélation. La parole humaine traduit en sons articulés cette parole vivante qui est le fond de chaque être. La substance de tous les êtres, c'est le Verbe; médiateur entre le premier principe retiré dans l'inaccessible profondeur de son essence et les myriades infinies de substances secondaires qui peuplent l'immensité.
Le verbe est la cause active, intelligente; principe immatériel, principe plastique de la matière, manifestation de Dieu invisible substance de la création visible, âme du monde.
La révélation est permanente: elle est la relation continuelle de nous-mêmes avec ce verbe qui nous constitue, de notre âme avec cet esprit de lumière; et "quand nous n'emprisonnons pas de verbe dans la matière", quand nous n'étouffons pas sa voix divine sous le tumulte de nos désirs grossiers, nous l'entendons qui parle à notre cur. Le verbe se révèle à chaque instant à l'homme purifié. L'incarnation est un dogme non un mystère: le verbe divin passera par la série de verbes intermédiaires.
La Sophia est le corps céleste du verbe. C'est dans elle que le verbe s'est enveloppée, pour s'incorporer dans l'élément pur (élément mystique caché dans la lumière), et de là descendre dans la région des éléments mixtes et corruptibles, ou dans le sein de Marie. L'homme a étouffé la voix de la révélation permanente du verbe à son cur; pourtant elle se manifeste à qui veut sincèrement la consulter.
La séparation des êtres déchus n'est relative qu'à eux seuls, et
n'attaque en rien l'indivisible unité de l'éternel.
Le même esprit circule dans tous les êtres pensants. Nous puisons sans cesse à la même source. Nos esprits se communiquent par notre nourriture intellectuelle, comme nos corps se communiquent par la circulation des éléments.
Comment serions-nous donc séparés de la vie? Tout est vivant. (Homme de désir)
Le mal existe dans la matière dégradée, dans l'homme, dans l'être pervers.
Leibniz, Bonnet ont dit qu'il n'y avait pas de mal sur la terre, et que ce qui paraissait un désordre en particulier, produisait l'ordre universel. Qu'est ce donc qu'un ordre universel composé de désordres particuliers? Qu'est ce qu'un bien total formé par l'assemblage de maux particuliers?
Qu'est-ce que le bien-être de l'espèce, composé des malheurs des individus?
"Oui, le mal existe dans vous, autour de vous, dans tout l'univers, et vous n'êtes occupés qu'à être aux prises avec lui." (Homme de désir)
Saint Martin n'est pas manichéiste; il n'y a pas un Grand Architecte du Bien et un Grand Architecte du mal, "ou ils n'auraient aucune action l'un sur l'autre, ou ils se seraient mutuellement balancés et contenus. Or de cette égalité de puissance, il serait résulté une inaction et une stérilité absolues dans ces deux êtres, parce que, leurs forces réciproques se trouvant sans cesse égales et opposées, rien n'eût été produit. L'origine du mal est donc la déviation de la volonté libre. L'homme et l'ange rebelle ont détourné de l'unité leur pensée et leur amour. L'ange rebelle a voulu usurper un trône qui n'était pas fait pour lui: l'homme victime d'une illusion, s'est laissé déchoir de sa gloire. Péché d'orgueil, péché de séduction, tels ont été les deux premiers crimes source de tous les autres. L'ange déchu se consume dans l'infection de ses mauvais désirs et dans la rage de son impuissance (il est l'objet et l'instrument de sa peine).
L'homme aperçoit du fond de son cachot quelques rayons du ciel qui consolent sa captivité en lui annonçant sa délivrance.
L'enfer et le paradis sont des états de l'âme, des situations morales. Le cur de l'homme pur est le ciel, la demeure de l'esprit, le sanctuaire du Grand Architecte; le cur de l'homme souillé, c'est l'enfer.
Sortir de la loi divine, c'est s'exiler du Grand Architecte. L'enfer est partout où le mal existe; il est le mal.
Nous sommes protégés du démon par notre corps; privée de son corps l'âme serait exposée aux agressions du démon.
Le pervers s'efforcera de faire pénétrer le péché dans l'homme par les organes du corps.
La matière est une illusion créée pour molester le rebelle, en le séparant des pures essences qu'elle voile et dérobe à sa vue.
Nos prières, nos paroles tournant notre désir vers le Grand Architecte sont tourments et tortures pour l'être pervers.
Ce n'est que par l'âme de l'homme qu'il peut apercevoir quelques rayons de la pure lumière, et il ne l'aperçoit que pour la maudire.
Le Grand Architecte est toujours au milieu des démons par l'il vivant de la lumière. (uvres posthumes. Tome 2. Il se donne tout entier au pervers à chaque instant, mais celui-ci ne laisse point entrer en lui le pardon universel, auquel l'âme de l'homme a donné accès. L'être pervers sera amené à résipiscence et donc à réintégrer. Si tout est amour, parole, unité, nul ne peut subir un éternel exil loin de l'unité, de la parole et de l'amour.
L'OEUVRE consiste à unir son âme au verbe par l'intermédiaire des verbes chargés de la réintégration. L'opération se consomme dans l'unité de l'extase, l'homme devient Grand Architecte. Mais uvre n'est pas sans périls; le démon rôde, cherchant la brèche de notre cur! Pour communiquer avec les puissances surnaturelles il y a l'extase et la théurgie.
Le théurge utilise un rituel.
L'extase est communication pure de l'âme avec le Grand Architecte; elle a pour caractère l'abdication de la volonté propre, de la réflexion de toute faculté personnelle; tant que l'homme demeure, elle n'existe pas.
ELLE NE COMMENCE QU'AU POINT OU CE N'EST PLUS NOUS QUI PRIONS MAIS Dieu QUI PRIE LUI-MEME EN NOUS.
L'extase obtient une connaissance intuitive du Grand Architecte; la théurgie apporte une révélation sensible, matérielle; elle a un caractère objectif; l'apparition se manifeste.
Saint Martin se tient à l'écart de la théurgie à cause des mauvais esprits.
L'ennemi peut prendre toutes les formes; il peut imiter jusqu'à nos prières. C'est l'intime qui apprend tout et préserve de tout. (Correspondance du 26 janvier 1794)
"J'ai eu du physique aussi, mais en moindre abondance que dans l'école de Martinez; et encore, lors de ces procédés, j'avais moins de physique que la plupart de mes camarades.
Saint Martin admet les apparitions des puissances secondaires, mais il ne croit pas qu'on puisse voir Dieu.
Notre cur a pour nourriture l'unité même qui est sans image.
Si nous ne voyons pas l'image du Grand Architecte, nous sentons physiquement sa présence, quand il descend en nous, quand il vient prier dans notre âme et que nous devenons sa pensée, sa parole, son acte. C'est la seule manifestation physique du Grand Architecte que l'on puisse avoir.
Il semble que Saint Martin marque une certaine répugnance à ceux qui se servent d'initiations violentes; il préfère se réfugier dans le sanctuaire de sa religieuse pensée.
Saint Martin semble aussi redouter et mettre en doute la légitimité de la théurgie. IL N'EN CONTESTE PAS LA REALITE.
L'âme religieuse sent parfois abonder en elle des mouvements merveilleux, des béatitudes, un amour tendre et pur.
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